"Espartina", la corde à la base de tout". Elgar N° 629 Janvier/Février 2025

Au Pays Basque, il y a deux sortes d'espadrilles. Les plus traditionnelles et certainement les plus anciennes, sont appelées "abarkak". Elles sont formées à partir d'une seule pièce de cuir façonnée à recouvrir l'ensemble des pied et attachées sur le mollet grâce à des lacets croisés. Ce sont celles que portent certains danseurs traditionnels ou les "joaldunak", par exemple. Les espadrilles en toile que nous connaissons tous, et dont Mauléon s'est fait une spécialité sont appelées en basque "abarketak" (littérarités : petites abarkas) ou plus généralement "espartin, espartinak".

On pourrait croire que ce mot est purement basque. Il n'en est rien. En effet, il a une origine beaucoup plus lointaine directement liée à une spécificité de la fabrication de l'espadrille.

le mor "espartin, espartina", est issu de l'occitan "espartenha", lui même issu du latin "spartum". Ce mot désigne la plante de la famille des Poacées, le sparte (lyceum spartum), appelé en basque "espartzu", dont, comme sa cousine l'alfa (stipe tenacissima), on utilise les feuilles pour faire de la passementerie (chapeaux, chaussures, poches, nattes de sol) ou de la corderie. C'est bien de cette dernière utilisation, la corde, que sont nées à l'origine les "espartinak".

Venues d'Espagne, ces sandales légères sont fabriquées dès le XVIIIème siècle en Béarn et au Pays Basque, dans des "sparteries", des ateliers de corderie. Elles étaient au départ simplement formées d'une semelle de corde, puis goudronnée, sans caoutchouc. A partir de la moitié du XIXème siècle, une famille d'anciens épiciers de Mauléon, se lance dans la fabrication artisanale d'espadrilles. Peu à peu les usines et les ateliers se multiplient et permettent de commercialiser les espadrilles dans tout le Pays Basque et même jusqu'en Amérique Latine. De 537 ouvriers en 1896, la main d'oeuvre passe à 1585 en 1914. C'est l'âge d'or des "hirondelles", des jeunes femmes venues du nord de la Navarre et de Roncal qui se rendaient en France pour travailler par la montagne en utilisant les services d'un passeur. Ces saisonnières travaillaient à Mauléon et dans la région d'octobre à mai suivant, selon un cycle inversé des fameux petits oiseaux migrateurs dont elles ont pris le nom.

 

Jean-Baptiste Heguy